Recherche d’espoir

Espérance (nom féminin) : sentiment de confiance en l’avenir, qui porte à attendre avec confiance la réalisation de ce qu’on désire ; espoir

Lors d’une violence subie, certaines émotions ressenties sont prédictrices de l’intensité des symptômes post-traumatiques consécutifs : la terreur, l’incompréhension, l’impuissance (Brillon, 2023). Les thérapeutes en psychotraumatologie travaillent intensément ces émotions, en remettant du sens dans les agissements de l’agresseur (oui, il sait ce qu’il fait (Bancroft, 2023)), et les réactions de la victime ; en rassurant et ramenant au présent devenant une bulle de sécurité ; et en redonnant le contrôle, donnant le choix, allant au rythme de la femme accompagnée, lui fournissant des outils de gestion des symptômes etc. 

Nous sommes aussi amenées à travailler, en lien avec les épisodes dépressifs, sur le sujet du désespoir. Que ce soit chez les femmes directement victimes de violences masculines ne voyant pas leurs symptômes évoluer assez vite, chez celles dont les agresseurs n’ont pas été condamnés et continuent de sévir, chez celles qui militent depuis des années auprès de victimes et ne voient pas la fin de la domination masculine, l’espoir vient souvent à manquer. 

Encore lundi dernier, à un rassemblement de soutien aux victimes portant plainte contre Depardieu, les journalistes demandaient aux activistes “Qu’attendez-vous de ce procès ?”. Difficile de répondre, tant il est difficile d’espérer. 

Militantes, nous pouvons facilement nous interroger : “Que faisons nous encore là ? A quoi est-ce que ça sert ?”. Nous luttons contre un système de domination masculine planétaire et ultra-puissant. Et, particulièrement lorsque les années de militantisme s’accumulent, nous avons souvent cette conscience aiguë du fait que les choses ne s’améliorent pas, ou pas assez vite. Nous n’avons pas/peu d’espoir en la justice ou autres institutions. Nous n’avons pas/peu d’espoir aux soudaines excuses et changements de comportement des agresseurs (oui, ils savent ce qu’ils font (Bancroft, 2023)). Nous n’avons pas/peu d’espoir en une révolution écologique et sociale pouvant améliorer l’avenir. 

Pourtant nous en avons toutes besoin, de cet espoir, de cet ancrage dans le vivant. C’est à la fois une belle protection contre la fatigue de compassion (usure liée au contact répétitif aux situations interpersonnelles éprouvantes) et le burnout militant, mais aussi contre les idées suicidaires. La culture d’une recherche d’espoir et de satisfaction de compassion est essentielle à maintenir notre vitalité de soignantes (Smith, 2023) et militantes.

L‘espoir se définit comme cette attente, cette croyance, en certaines choses pouvant aller mieux, pouvant évoluer. Cette évolution est le lien au mouvement, le refus du figement (traumatique)

J’espère un changement, et ce changement me donne de l’espoir. Nos joies et victoires s’ancrent dans notre mémoire et, lorsque bien cultivées, bien tenues au chaud, forment des brasiers pour les feux d’espoir futurs. 

C’est en cela que je relie l’espoir au vivant. C’est le vivant qui change, évolue, bouge, même avec lenteur ou avec des pauses d’hibernation. C’est cette Nature qui est encore là aujourd’hui, et qui parvient malgré tout, malgré eux, à nous émerveiller. 

J’ai demandé autour de moi “Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir en ce moment ?”, en précisant : pas forcément un espoir en un monde meilleur, mais un espoir en quelque chose de mieux, pour une d’entre nous, pour plusieurs, ou pour toutes. Comme tout mouvement, cette liste est destinée à évoluer, mais en voici déjà une première ébauche. 

L’espoir se trouve dans les victoires féministes passées et présentes.

Les collectifs qui survivent et se redressent après des années de maltraitances internes. Les résolutions de conflits entre militantes, comme ceux ayant inspirés le livre Comment s’organiser : Manuel pour l’action collective de Starhawk. Les mobilisations massives comme celle de l’Été 2019 et des collages contre les féminicides ayant recouvert les murs de toutes les villes de France. Les conjoints violents envoyés en prison. La fraîcheur des nouvelles idées, comme cette batucada éclatante thérapeutique ou ce lieu de refuge pour femmes qu’est la Maison Reposante – Ikambere. Les avancées impulsées par nos voisines, comme les politiques publiques de lutte contre les violences conjugales en Espagne. La foule dans les rues durant les manifestations, que les femmes vivant encore avec leur maltraiteur regardent passer avec cette conviction naissant au cœur “Je ne suis pas seule, et elles me croiront.” 

Chaque femme compte. Chaque enfant compte. Même s’il y aura toujours une nouvelle femme a accompagner, une nouvelle violence à combattre, même si le nombre des personnes ayant besoin d’aide est incommensurable. Nous devons aussi ajuster notre regard et notre attention pour ne jamais oublier celles et ceux qui ont été aidé···-es.

Valorisons par exemple les 81 associations du réseau Solidarité Femmes, faisant un travail si précieux. En 2023, selon leur rapport d’activité

  • 523 femmes et enfants ont été relogé-es ; 
  • 8000 femmes et enfants ont été hébergé-es ; 
  • 40 447 femmes ont reçu un entretien dans un dispositif d’accueil ; 
  • 97 394 femmes ont reçu un soutien via un appel au 3919,  une aide cruciale, un lieu d’écoute, de remise à l’endroit et d’empathie.

Ce sont autant de femmes qui ont survécu aux violences et sont encore là aujourd’hui. Reconnaissons les immenses ressources qu’elles ont mises en œuvre pour survivre. Éprouvons la créativité qu’elles ont nourrit pour avancer et rejoindre la lutte. La puissance des femmes est stupéfiante et source d’émerveillement. 

En tant que thérapeute, je prend soin de noter, dans un carnet spécifique, chaque élan de survie et de changement chez les femmes que j’accompagne. Je refuse de perdre de vue toutes nos avancées, toutes nos séances d’où jaillissent un éclair de compréhension, toutes ces reconnexions à soi et au monde. 

L’espoir se trouve dans les surprises que nous réservent le monde vivant.

Certains éléphanteaux naissant désormais sans défense pour échapper au braconnage. Les requins du Groenland vivant jusqu’à 500 ans. Les pigeons capables de se reconnaître dans le miroir. Les orang-outan fabriquant un baume à l’aide de plantes médicinales pour soigner leurs plaies. Toutes les espèces animales qui s’adaptent face aux bouleversements climatiques. Ma chienne rescapée qui prend de plus en plus confiance, même avec des retours en arrière parfois, rien n’est figé. Les animaux échappés d’abattoirs évoluant infiniment lorsqu’elles et ils sont en sécurité, tel que dans le sanctuaire CoExister.

Cette inspiration que nous apporte toute la Nature, nous “faisant glisser de l’émerveillement à l’engagement” (Larabi, 2011). Le pouvoir thérapeutique de quelques heures en forêt ou les pieds dans l’eau de l’Océan. Les graines germant dans la fissure sèche d’un trottoir et les arbres poussant à flanc de falaise, obstinément. 

L’espoir se trouve dans les récits, les histoires, les contes.

Dee Graham écrivait déjà en 1994 sur l’importance des fictions féministes pouvant remplir nos imaginaires de luttes, de colère légitime, de justice. Récits de sororité et de fureur ancrés dans le monde réel (Clémence en colère, Mirion Malle – Les orageuses, Marcia Burnier – Femmes portant un fusil, Sophie Pointurier – Comment enterrer son mari en toute discrétion, Alexia Casale – The murder next door, Sarah Bell). Récits de science fiction donnant un autre monde à voir (Wayfarers, Becky Chambers – Herland, Charlotte Perkins Gilman – The wanderground, Sally Miller Gearhart). Récits d’amours de femmes (En l’absence du Capitaine, Cécile Coulon – Correspondances 1923-1941, Vita Sackville-West et Virginia Woolf). Récits d’ode au vivant (Ce que murmurent les animaux, Virginia Markus – Sur les ossements des morts, Olga Tokarczuk). Récits de victoires collectives contées pour nos filles et nos mères (Contes qui guérissent, contes qui aguérissent, Les Culottées du Bocal – Contes à rebours, Typhaine D). Et tant d’autres. 

L’espoir se trouve dans l’art, la beauté.

Sans doute un volet très subjectif, mais je suis persuadée que nous avons toutes de l’espoir à puiser dans les créations et œuvres des femmes. Pour certaines ce sera dans les tableaux de Rosa Bonheur, Georgia O’Keeffe ou Frida Kahlo. Pour d’autres dans le scénario consolateur d’Alice Oseman dans sa série Heartstopper, tel que l’a décrit Blanche Sabbah. D’autres encore dans les mélodies d’Emilie Pandolfi, la puissance vocale de Kaleigh Baker, les harmonies amplifiant le cri de Notre Ohrage. De mon côté, je partage souvent ce podcast très doux contant les chants d’arbres parcourant le monde jusqu’à trouver la clairière où planter leurs racines. 

Le but n’est pas ici de partager une liste d’éléments feel good, mais de nous amener à changer notre regard sur l’art qui nous entoure : dans ce monde pollué de domination masculine, voici ce que ces femmes ont tout de même réussi à créer, à composer, à peindre. La puissance (ré)génératrice des femmes est, une nouvelle fois, précieuse source d’espoir. 

Lake George Reflection, Georgia O’Keeffe, 1922.

L’espoir se trouve dans la connexion humaine.

Je le trouve dans toute relation entre femme qui subsiste et s’enrichie malgré des centaines d’années de division entre opprimées. En cette amie de longue date avec qui l’on reprend contact. En cette femme nouvellement rencontrée avec qui l’on connecte si authentiquement. En ce couple de femmes ensembles depuis plus de 50 ans, s’étant rencontrées dans un car allant rejoindre une manifestation féministe des années 70. En ces récits de survie, d’adaptation, de dépassement, de celles qui sont encore là. En ces amitiés (Nos puissantes amitiés, Alice Raybaud – Un désir démesuré d’amitié, Hélène Giannecchini). En cette émotion de fierté, de joie d’être soi. En ces rires partagés entre soeurs. En ces filles qui pardonnent à leur mère d’avoir été, elles aussi, des femmes. En ces relations d’aides et de soutien sorore face aux difficultés propres à nos vies de militantes : aucune femme ne doit rester seule face aux violences et traumatismes (Herman, 1992). En ces moments de chants / rythmes / slogans / musique / danses partagées, où nous ne faisons qu’une (et où nos systèmes nerveux s’accordent). En ces joies féministes.

Est-ce que cette première ébauche de liste vous inspire ?

Il est essentiel d’amener d’autres militantes à tourner leur regard vers le vivant, vers ce qui subsiste encore malgré leurs violences. Nous en avons besoin, pour continuer.

Je me sens émue d’avoir écrit cet article, d’avoir réfléchi pendant plusieurs semaines à la meilleure manière de concrétiser cette recherche d’espoir. Si ces idées et récits vous en inspirent d’autres, n’hésitez pas à nous écrire

Juliette Mercier