Le principe
Lorsque l’on souffre de stress post-traumatique, le moindre bruit, mouvement, odeur ou situation que la partie de notre cerveau chargée de notre survie associe à l’événement traumatisant peut nous faire basculer dans un état de stress extrême. C’est tout le problème de la mémoire traumatique : tandis qu’on se remémore un souvenir classique, un souvenir traumatique, lui, est revécu, à l’identique. Les frontières entre passé et présent sont brouillées. Notre amygdale cérébrale tire la sonnette d’alarme du corps et enclenche le mode survie : alors qu’il n’y a présentement aucun danger, cette structure de notre cerveau nous pousse à l’action ou à la fuite, car pour elle, il y a réellement urgence à agir pour se protéger. Cet état correspond à la zone orange du schéma des trois états du système nerveux autonome.
A ce moment précis, la partie de notre cerveau qui est responsable de la réflexion et de la prise de décision, le lobe pré-frontal, est comme déconnectée. Seules les régions les plus primaires, dédiées à la survie et aux émotions, sont activées (sous-cortical, système limbique, lobes occipital et temporal internes).
La détresse est intolérable, tout notre corps nous hurle d’agir alors que la déconnexion de notre lobe frontal nous en empêche. Une crise d’angoisse est alors susceptible de se déclencher. Si l’hyperventilation en est la manifestation la plus connue, elle peut s’exprimer de multiples autres manières, comme par des hurlements et/ou des mouvements brusques incontrôlables, souvent associés à une envie irrépressible de se faire du mal. Lorsque notre organisme se retrouve plongé dans cet état trop régulièrement, le stress finit par se chroniciser, entraînant dans son sillage de nombreux effets délétères, tant sur le plan physique que psychique. Les états dépressifs et suicidaires en font partie. On peut ainsi distinguer deux manifestations de l’état physiologique correspondant à la zone orange : la panique, qui correspond à une crise intense mais de durée limitée, et le désespoir, qui est elle aussi une forme de détresse aiguë mais qui s’installe sur le long-terme.
Pour réduire cette souffrance, de court comme de long-terme, il est possible de chercher volontairement à basculer en état de dissociation, ce qui correspond à la zone rouge des trois états du système nerveux autonome, afin de ne plus rien ressentir (via des conduites auto-agressives telles que se frapper soi-même, se scarifier ou prendre une douche brûlante, via l’ingestion de substances psychoactives, ou tout autre forme de conduite à risques). Bien que ces méthodes de fortune puissent donner l’illusion d’apporter un soulagement sur le moment, elles participent à un cercle vicieux qui, à moyen et long terme, ne fera qu’aggraver les symptômes.
Plutôt que de se dissocier pour sortir de cette zone orange de la fuite ou du combat, il est possible de reconnecter son lobe pré-frontal et de réactiver son nerf vagal ventral, ce qui permet de retrouver un état physiologique apaisé qui correspond à la zone verte. Pour cela, nous proposons de vous constituer, seul·e ou avec une thérapeute, une trousse de secours, facilement accessible en cas d’urgence. Cet outil, qui nous provient de la thérapeute, autrice, et survivante Carolyn Spring, permet de contourner l’obstacle de la déconnexion entre cerveau émotionnel et cerveau rationnel qui caractérise le stress aigu, en rendant accessible des dispositifs “clé en main” pour y faire face.
Que mettre dans sa trousse ?
Ces conseils peuvent être écrits sur des petits papiers et rassemblés avec des objets utiles dans une boîte qui deviendra alors, matériellement, la trousse à sortir lorsque l’angoisse monte. Certains conseils peuvent vous parler plus que d’autres ou se révéler plus efficaces une fois testés : faites vous confiance et n’hésitez pas à les adapter à vos besoins.

Prêter attention
Afin d’apprivoiser la détresse, il est important d’apprendre à l’identifier. Notez sur un carnet ce que vous ressentez, prêtez attention à vos émotions, aux crispations de vos muscles ou viscères et autres sensations corporelles. Essayez de déterminer ce qui a déclenché ce basculement de détente à angoisse et notez-le également. Le simple fait d’observer consciemment ce qui se passe en vous, notamment lorsque vous éprouvez un certain inconfort, mobilise votre cortex préfrontal médian, siège de la conscience de soi. Vous apprendrez ainsi à mieux connaître votre fonctionnement et, à force d’entraînement dans des situations inconfortables ou à la suite d’une crise, vous deviendrez de plus en plus capables d’anticiper et même de désamorcer ces dernières.
Stratégies relationnelles
Reconnection du cortex orbitofrontal (région responsable de l’attachement et de l’interaction sociale).
- Garder dans sa trousse de secours une liste de personnes ressources pouvant être contactées lorsque l’on se sent basculer dans la zone orange.
- Avoir des notes sur quoi dire quand on a besoin d’aide, des emails pré-rédigés, même de manière minimaliste (« J’ai besoin d’aide »), afin de faciliter l’entrée en contact.
La présence physique d’une personne ressource capable de rester calme face à la détresse d’autrui peut aider à utiliser les outils détaillés ci-dessous. Faute de présence physique, un appel caméra peut également être d’une grande aide, plus qu’un échange de messages.
Stratégies introspectives
Reconnection du cortex préfrontal médian (région responsable de la conscience de soi).
- Restaurer la sensation d’unité corps-esprit : solliciter les 5 sens (vue, audition, kinesthésie, ouïe, goût) avec des questions comme “Nomme le plus petit objet bleu que tu vois.”, “Peux-tu identifier trois choses que tu entends ?”, “As tu un goût dans ta bouche ?”, “As tu la vessie pleine ?” ; se prendre mutuellement dans les bras avec une autre personne pour bouger ensemble (comme pour danser un slow) ; malaxer, taper ou jouer avec un objet mou ; sentir des huiles essentielles aux vertus apaisantes (lavande, petit grain bigarade, marjolaine à coquille, camomille romaine…) ; pratiquer un exercice de respiration de type cohérence cardiaque ; marcher, sauter sur place, s’étirer ; vocaliser voire chanter ; caresser un animal ; passer les mains sous l’eau froide ou chaude ; toucher une texture que l’on aime ; écouter une chanson que l’on aime ; mordre dans un aliment acide ; ou encore pratiquer les techniques du câlin papillon ou exercices de réduction des tensions (TRE), après explication par une thérapeute.
- Réflexions méta-cognitives : prévoir des phrases pré-remplies aidant à prendre du recul sur ses pensées et émotions, par exemple “Je suis en train de ressentir…”, “La pensée que j’ai actuellement est…”.
Stratégies cognitives
Reconnection du cortex préfrontal dorsolatéral (région responsable de l’organisation entre passé, présent et futur, de la planification, de l’inhibition des actes impulsifs, ayant un rôle dans la mémoire et le langage).
En cas de panique :
- Faire des exercices de calcul mental ou épeler des mots à voix haute.
En cas de désespoir :
- Garder dans sa trousse de secours une liste de buts et de choses prévues pour le futur, que ce soit pour le lendemain, pour la semaine ou pour l’année prochaine.
- Prévoir également une liste décrivant étape par étape les actions les plus simples (comme sortir du lit et prendre une douche).
- Rassembler quelques photos ou autres éléments souvenirs, venant témoigner d’instants joyeux et d’instants difficiles où l’on a réussi à s’en sortir.
- Solliciter le langage, soit en se fixant un objectif d’écriture (“Je dois écrire 3 pages sur ce carnet avant d’essayer une autre stratégie.”) soit en entrant en dialogue avec une personne ressource contactée.
L’utilisation régulière de cette trousse de secours est un moyen de désapprendre la crise d’angoisse et les conduites auto-agressives comme réponse par défaut lorsque la détresse monte. Ici, nous pouvons apprendre à notre corps une stratégie d’apaisement ayant des conséquences bénéfiques, nous entraînant ainsi dans un cercle vertueux.
Dana, D. (2018) The polyvagal theory in therapy: engaging the rhythm of regulation. First edition. New York: W.W. Norton & Company.
Levine, P. (2014) Guérir par-delà les mots – Comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être. Malakoff : InterEditions.
Rosenberg, S. (2017). Accessing the healing power of the vagus nerve : Self-help exercises for anxiety, depression, trauma, and autism. North Atlantic Books.
Salmona, M. (2013). Le livre noir des violences sexuelles. Malakoff : Dunod.
Spring, C. (nd.). Dealing with distress, working with suicide and self harm. Online courses.
Van der Kolk, B. (2018). Le corps n’oublie rien. Paris : Albin Michel.