Techniques de Somatic Experiencing pour se reconnecter à son corps

« Écartelées entre un trop plein de sensations (qui les submergent ou les envahissent) et un trop peu de sensations (qui les figent et les engourdissent) et donc incapables de se fier aux dites sensations, les personnes traumatisées risquent de se perdre. Elles ne se sentent plus elles-mêmes et cette perte de sensations amène à une perte de leur sentiment d’identité.” – Guérir par-delà les mots, P. Levine.

Les mécanismes de la dissociation chronique

Face à une situation d’une violence sidérante, telle que les violences sexuelles et/ou intra-familiales, notre système nerveux n’a parfois que la possibilité de couper la communication entre le néocortex et l’amygdale (notre système d’alarme interne) : c’est la dissociation péri-traumatique. Cet état, dit de freezing en anglais, correspond à la “zone rouge” du schéma des trois états du système nerveux autonome, plus connue sous le nom de sidération. 

D’une manière qui peut sembler paradoxale tant que l’on ne saisit pas les mécanismes neurologiques sous-jacents,  les personnes psycho-traumatisées peuvent mettre en place des conduites à risque. Ces conduites, ressemblant souvent fortement à la violence subie (par exemple aller conduire vite sur l’autoroute ou avoir des comportements sexuels à risque lorsque l’on a été victime de viol), ont pour effet de provoquer une dissociation post-traumatique, qui procure un soulagement éphémère et illusoire.

Il n’est pas rare que s’enclenche alors un cercle vicieux de dissociation chronique. Alors qu’elles sont le plus souvent pathologisées et utilisées pour discréditer les victimes, ces manifestations du psychotraumatisme sont des conséquences non seulement cohérentes de la violence subie, mais elles constituent bien souvent la seule option que notre société leur laisse, faute de leur apporter le soutien, les soins et la justice nécessaires. 

La nécessité d’une approche thérapeutique psycho-corporelle

Deux possibilités existent pour permettre aux victimes de violences sexistes et sexuelles (violences qui sont, rappelons-le, les plus grandes pourvoyeuses de psychotraumatismes) de sortir de la zone rouge de la dissociation chronique : une réflexion cognitive et émotionnelle d’un côté (soins dits top-down, du cerveau vers le corps), et une approche psycho-corporelle de l’autre (soins dits bottom-up, du corps vers le cerveau). 

Les exercices présentés ci-après s’inscrivent dans cette seconde démarche et sont issus des travaux de Peter Levine, docteur en ingénierie biomédicale et psychothérapeute corporel fondateur de la Somatic Experiencing. Ils visent à aider à sortir de la zone rouge du figement traumatique par l’introspection et la mobilisation.  

En effet, comme l’explique Bessel Van der Kolk : 

« L’autonomie commence par ce que les scientifiques nomment l’ “intéroception”, la conscience subtile des états intracorporels : plus cette conscience est grande, plus on peut contrôler sa vie. Savoir ce qu’on ressent est le premier pas pour savoir pourquoi on éprouve une telle impression. Si on est conscient des changements constants qui ont lieu en soi et hors de soi, on peut se mobiliser pour les réguler. Mais on ne peut le faire que si sa tour de guet, le cortex préfrontal médian, apprend à observer ce qui se passe en soi. Voilà pourquoi la pratique de la pleine conscience, qui renforce cette structure, est la pierre angulaire du dépassement du traumatisme. »[1]

La pratique régulière de ces exercices ne se substitue pas à un suivi thérapeutique et éventuellement médical à part entière, mais elle fait partie intégrante de l’approche de soins que nous proposons au Centre Bertha Pappenheim.

Exercice 1 : Une douche de sensations

Le principe

Cet exercice vise à réveiller la perception du corps chez des personnes entrant en zone rouge de façon chronique, prérequis à la sortie du figement, avec tout ce qu’il implique de sensations d’impuissance et d’effondrement. 

Durant une dizaine de minutes ou moins, dans l’idéal plusieurs fois par semaine et sur une période de plusieurs semaines, nous vous invitons à prendre une douche agréable à la température qui vous convient le mieux. Vous pouvez, étape par étape, exposer votre corps au jet d’eau. Dirigez votre attention vers la partie du corps où se concentre de manière rythmique la stimulation pulsante de l’eau. Prenez ainsi conscience de chaque partie de votre corps. Par exemple, placez le dos de vos mains sous le pommeau de douche, puis les paumes, les poignets, les bras, la tête, les épaules, les aisselles, les pieds etc. Essayez d’inclure chaque partie de votre corps et prêtez attention aux sensations reçues dans chaque zone, même si elle vous semble absente ou engourdie. Particulièrement lorsque vous ne ressentez rien, prenez le temps de dire à voix haute “Ceci est mon bras, mon cou etc.” ou encore “J’accueille le retour de mon bras droit.”, “Merci pour cette information.”. 

Vous pouvez aussi faire cet exercice en tapotant chaque partie de votre corps du bout des doigts. 

Pratiqué régulièrement, cet exercice va vous aider à restaurer la perception des limites de votre corps en réveillant vos sensations cutanées. Même s’il peut être perturbant de se rendre compte  que certaines parties de son corps sont comme anesthésiées, ce qui est communément le cas lors de dissociation chronique, prendre conscience de cette absence d’information est déjà une pratique d’intéroception en soi

Une rééducation

Un parallèle peut utilement être fait avec une rééducation en service hospitalier neurologique. Lorsque, post-AVC, une personne souffre de troubles sensitifs (c’est-à-dire ne ressent plus de sensation provenant de son bras, sa jambe…), la rééducation s’effectue par la stimulation thermique, la pression, le brossage, la compression…bref par la réassociation entre les stimulations tactiles et le cortex sensitif recevant et analysant ces informations. De même, lorsque, post-COVID, une personne souffre d’anosmie (perte de l’odorat), la rééducation s’effectue par la présentation régulière d’huiles essentielles, simultanément à la réactivation du souvenir de l’odeur présentée. Renifler l’odeur de lavande tout en activant en mémoire le souvenir d’un champ de lavande permet de réassocier les informations perçues par les récepteurs olfactifs de la cavité nasale avec l’odeur appropriée. 

De manière analogue, nous vous encourageons à réaliser cet exercice de la douche en verbalisant à haute voix “Ceci est ma main droite, mon coude gauche, mon ventre, etc.”, afin de lutter contre la dissociation des sensations corporelles provoquée par le traumatisme

Exercice 2 : Être tout en muscles

Cet exercice vise à vous faire prendre conscience des contours de vos muscles

Commencez par presser doucement avec votre main votre avant-bras opposé, puis remontez le long du bras pour ensuite faire de même avec les épaules, le cou, avant de redescendre vers les cuisses, les mollets, les pieds etc. L’objectif est d’arriver à percevoir de plus en plus finement comment sont positionnés vos muscles et les sensations éprouvées  lorsque vous les pressez gentiment. Vous pouvez commencer à reconnaître la rigidité ou la mollesse du tissu. En général, des muscles contractés sont un signe d’activation sympathique et d’hyper-vigilance, tandis que des muscles particulièrement peu toniques (mous voire flasques) sont révélateurs d’une activation parasympathique dorsale (l’effondrement lié au figement traumatique). Lorsque vous sentez que vos muscles sont flasques, prenez le temps de les accueillir et de les prendre doucement dans vos mains (ou l’une de vos mains, le cas échéant), comme si vous teniez un chaton dans vos bras. 

En pratiquant régulièrement ce toucher doux et précis, vous pouvez progressivement apprendre à vos fibres musculaires à se réchauffer et se réactiver de manière cohérente. Vous pourrez pas à pas suivre l’évolution de vos ressentis et l’acuité de vos perceptions musculaires. 

Exercice 3 : (Re)trouver l’équilibre

Cet exercice vise à favoriser la conscience proprioceptive (perception de la position des différents membres dans l’espace) et kinesthésique (perception des mouvements) de votre corps. 

Commencez par vous mettre debout, position qui, pour banale, requiert en réalité un certain degré de tonus et de conscience corporelle. Remarquez comme vos pieds sont en contact avec le sol. Élargissez doucement votre perception, en remontant depuis vos chevilles vers vos mollets, vos genoux, vos cuisses, etc. Pour favoriser un sentiment d’enracinement dans le sol, continuez cet exercice en induisant un mouvement lent et subtile de balancement d’un pied sur l’autre. Continuez à vous concentrer étape après étape sur les sensations provenant de vos hanches, de votre colonne vertébrale, de votre cou, de votre tête. Prenez conscience du lien entre les différentes parties de votre corps, de la manière dont vos épaules sont reliées à votre cou, dont vos cuisses s’articulent avec vos hanches, etc. Prêtez attention à votre respiration et à la manière dont vos épaules se soulèvent et s’abaissent, dont vos poumons s’emplissent et se vident à chaque entrée et sortie d’air. Localisez votre centre de gravité dans votre abdomen. Après vous être balancé·e d’un pied sur l’autre et avoir scanné tout votre corps de bas en haut puis de haut en bas, procédez de même d’avant en arrière, tout en gardant les pieds bien enracinés dans le sol. 

Ce type de mouvement demande une perception proprioceptive et kinesthésique sophistiquée, tout en permettant de sentir l’importance de votre centre de gravité. Une pratique régulière est donc propice au développement de l’intéroception et à la restauration de votre confiance en la maîtrise de votre propre corps.

Exercice 4 : La danse du ventre 

Comme expliqué dans cet article, le nerf vague (au cœur de la théorie polyvagale des trois états du système nerveux autonome) dessert largement le système gastro-intestinal. Ajoutons que 90% des liens nerveux entre notre cerveau et nos viscères sont sensoriels (ou afférents) : pour chaque fibre nerveuse motrice transmettant les ordres du cerveau au système gastro-intestinal, 9 fibres sensorielles envoient des informations sur l’état de ce système vers le cerveau. Or, notre estomac et notre intestin ont beaucoup de choses à nous dire. Lorsque nous percevons un danger – de façon appropriée ou non, par exemple dans le cadre de reviviscences traumatiques -, il est ainsi fréquent de se sentir barbouillé·e, nauséeux·ses, ou avec les intestins noués.  A l’inverse, une détente musculaire tonique du ventre permet d’envoyer au cerveau un signal de sécurité, ce qui peut permettre d’améliorer notre humeur et de contrer le stress chronique. 

L’exercice suivant repose sur ce mécanisme et vise à nous permettre d’accéder aux sensations corporelles viscérales.. Il consiste à vocaliser le son “voo”/“vou”, son emprunté à des chants tibétains et semblables au son “om” du yoga. Ces sons graves ouvrent, dilatent et font vibrer les viscères comme dans une sorte de danse. Ils permettent de communiquer de nouvelles informations à un système nerveux figé. 

Asseyez-vous confortablement et inhalez doucement. Faites une petite pause et, en expirant, émettez tranquillement le son “voo”, en soutenant le son tout au long de votre expiration. Faites vibrer le son comme s’il sortait directement de votre ventre. Imaginez que ce son est celui d’un phare guidant des bateaux à travers la brume, comme vous guidez votre corps à travers le brouillard de la dissociation. A la fin de l’expiration, faites une petite pause et permettez à la respiration suivante d’emplir votre ventre et votre poitrine. Puis recommencez à expirer pleinement le son “voo” jusqu’à son terme complet. Répétez cette opération plusieurs fois (vous pouvez commencer par 4-5 fois puis aller en augmentant progressivement au fil des jours), puis reposez-vous. Ensuite, fixez votre attention sur votre corps, votre abdomen, votre ventre contenant vos organes, et observez sans jugement les sensations qui en émanent.

Si des sensation désagréables surviennent dans certaines zones de votre corps lors de la pratique de l’un de ces exercices, plutôt que d’y mettre un terme, nous vous invitons à rediriger votre attention vers une partie de votre corps où vous vous sentez confortable ou, du moins, qui est exempte d’inconfort, aussi petite cette parcelle de votre corps soit-elle (un orteil par exemple). Cette pratique va peu à peu augmenter la tolérance de votre cerveau à l’intéroception, laquelle va vous permettre de naviguer de mieux en mieux à travers vos émotions au quotidien, d’identifier vos “déclencheurs”, d’apprendre à anticiper les pics de stress puis à les désamorcer. A terme, c’est ce qui vous permettra de restaurer la flexibilité de votre système nerveux autonome et de vous maintenir le plus souvent possible dans la zone verte de la sérénité. Voici ce que dit Peter Levine à ce propos : 

“(…) la sensation d’avoir découvert et d’avoir pu s’établir sur un « ilôt de sécurité » vient contrecarrer les sentiments dominants de mal-être et informe la personne que le corps n’est, en fin de compte, peut-être pas son ennemi, et qu’il peut même devenir son allié dans le processus de guérison. Lorsqu’un nombre suffisant de ces petites îles sont identifiées et ressenties, elles peuvent être reliées les unes aux autres pour former une territoire de plus en plus vaste, capable de résister aux violentes tempêtes du traumatisme. Il devient alors possible de faire des choix et même d’éprouver du plaisir grâce à cette stabilité croissante, au fur et à mesure que de nouvelles connexions synaptiques se forment et se consolident. On apprend progressivement à déplacer sa conscience alternativement entre les régions de confort relatif et celles d’inconfort et de détresse. (…) On apprend que, quelle que soit la sensation que l’on éprouve (aussi horrible puisse-t-elle paraître), elle ne durera que quelques secondes, quelques minutes tout au plus. Et aussi pénible que soit une sensation ou un sentiment particulier, le fait de savoir qu’il va changer nous libère de la fatalité. Le cerveau enregistre cette nouvelle expérience en désactivant le biais d’alarme/impuissance. Là où, auparavant, il y avait une immobilité et un effondrement accablants, le système nerveux retrouve maintenant son chemin vers l’équilibre.[2]

Nous vous encourageons à réaliser ces exercices à votre rythme, en commençant par celui qui vous parle le plus. L’essentiel pour obtenir des résultats palpables est de s’en tenir à une pratique régulière, même brève. Cette pratique de soins du bas vers le haut, du corps vers le cerveau, peut également s’effectuer via une pratique sportive telle que le yoga, le pilates ou, sous certaines conditions, les arts martiaux. En cas de stress post-traumatique, nous recommandons toutefois que ces pratiques s’inscrivent dans le cadre d’un suivi thérapeutique et/ou médical à part entière.

Van der Kolk, B. (2018). Le Corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme. Paris : Albin Michel.

Levine, P. A. (2020). Guérir par-delà les mots: comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être. InterEditions.

[1]Van der Kolk, B. (2018). Le Corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme. Paris : Albin Michel, p. 138.

[2]Levine, P. A. (2020). Guérir par-delà les mots: comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être. InterEditions, p. 85-86 et 88 (traduction modifiée par nos soins).

L’Intégration du Cycle de la Vie

Une étape fondamentale du soin des psychotraumatismes consiste à réaliser que l’événement traumatique vécu appartient au passé. Même lorsque la menace a disparu, le système nerveux d’une personne traumatisée continue de réagir comme si le danger était toujours présent, restant à l’affût en permanence et surréagissant à de nombreux stimuli pourtant anodins.

L‘extinction de la mémoire traumatique ne peut s’effectuer uniquement via une thérapie par la parole (les survivant-es d’événement traumatiques ayant souvent déjà compris intellectuellement et rationnellement que le temps a passé). L’événement traumatique n’étant pas intégré à la mémoire autobiographique comme ayant un début et une fin clairement identifiés, mais comme un ensemble de fragments sensoriels épars non intégrés comme une étape de l’histoire de vie, les personnes traumatisées nécessitent une prise en charge holistique, intégrant corps et esprit. 

L’Intégration du Cycle de la Vie (ICV ou Lifespan Integration) est une technique thérapeutique récente visant à modifier l’organisation neuronale des personnes en utilisant leur récit de vie, afin de permettre l’intégration de l’événement traumatique vécu.

Découverte de l’ICV par Peggy Pace

En 2002, alors qu’elle recevait dans son cabinet une patiente psychotraumatisée, la psychothérapeute états-unienne Peggy Pace a découvert les prémices de l’ICV. Elle avait encouragé sa patiente, une femme de 40 ans, à revisiter un souvenir traumatique de son enfance. Ne pouvant le supporter, cette patiente est soudainement entrée en état de dissociation et est restée bloquée dans le souvenir. Peggy Pace a réalisé que la seule partie de la patiente lui étant désormais accessible était la petite fille de 6 ans qu’elle était au moment de l’événement traumatique. Elle a alors voulu prouver à cette petite fille qu’elle avait grandi, survécu à cet évènement, et était maintenant adulte et en sécurité. Elle a demandé à cette patiente si celle-ci se souvenait d’avoir eu 7 ans, puis 8, puis 9…remontant ainsi jusqu’à l’âge actuel de la patiente, le moment présent, dans le calme bureau de la thérapeute.

À partir de ce jour, Peggy Pace a commencé à guider ses patient·· es à travers leurs souvenirs de vie, ce qu’elle a nommé la ligne du temps, leur prouvant ainsi qu’elles et ils avaient survécu à l’événement traumatique. À chaque répétition de la ligne du temps (depuis la naissance ou depuis le souvenir traumatique jusqu’au moment présent, en fonction des besoins), chaque personne explorait son histoire sous un angle différent, permettant à de nouvelles sensations corporelles d’émerger, modifiant ainsi leurs perspectives. Pour les traumatismes simples, une seule séance suffisait à diminuer significativement les symptômes traumatiques (cauchemars, anxiété, reviviscences…) et à apporter un sentiment de calme et de sécurité à chaque personne. 

Travaillant par la suite avec d’autres thérapeutes, comme Cathy Thorpe ou Anandi Janner Steffan, Peggy Pace a contribué à développer de nombreux protocoles d’ICV, chacun adapté à des objectifs spécifiques  (par exemple : Trouble de Stress Post-Traumatique, intégration d’un Souvenir Explicite Perturbant non traumatique, intégration d’une relation inter-personnelle, intégration du Soi – lutte contre la dissociation traumatique – et réparation de l’attachement…) et à propulser cette technique à l’international. 
Aujourd’hui, l’ICV est utilisé dans des situations de TSPT, d’anxiété généralisée, de deuil, d’épisode dépressif, de trouble addictif ou du comportement alimentaire, mais aussi en prévention pour empêcher le développement d’un psychotraumatisme, lorsque l’événement traumatique vient juste de se produire.

Neurobiologie de l’ICV

Chaque être humain·· e est constitué·· e de l’ensemble de ses expériences passées, expériences stockées en tant que souvenirs implicites (pré-verbaux) et explicites dans notre cerveau sous la forme de connexions neuronales. 

L’axiome de Hebb, neuropsychologue canadien, postule que “Les neurones qui se déchargent ensemble se lient ensemble” (“Cells that fire together, wire together”). En répétant de nombreuses fois la ligne du temps d’une personne, les neurones correspondant à chaque souvenir de cette liste sont activés, et se déchargent (produisent un potentiel électrique) ensemble. La plasticité cérébrale (ensemble des mécanismes par lesquels le cerveau est capable de se modifier lors des apprentissages) permet de réorganiser les connexions entre les neurones qui soutiennent chaque souvenir, les reliant les uns avec les autres. Ainsi, l’Intégration du Cycle de la Vie permet de remettre du lien entre l’ensemble de nos expériences de vie, y compris celles qui ont été traumatiques, et de créer une réorganisation neuronale entre les neurones les soutenant, afin qu’elles constituent un tout cohérent.

L’ ICV va permettre une modification en profondeur de notre architecture cérébrale. L’ICV permet la “digestion” des émotions du passé en connectant les réseaux de neurones les uns aux autres afin de dater les événements passés et faire en sorte que le corps n’y réagisse plus malgré nous comme s’ils faisaient partie intégrante de notre présent. Sentir dans son corps que le passé est terminé est ce qui assure le changement vers le mieux-être.

Une étude réalisée en Suède (Rajan, 2020) portant sur la prise en charge des psychotraumatismes après un viol a montré qu’une seule séance d’ICV suffisait à éliminer la totalité des symptômes post-traumatiques chez 72% des femmes ayant participé à l’étude, en comparaison avec un échantillon de femmes n’ayant pas effectué de séance d’ICV.

Déroulé d’une prise en charge ICV

Psycho-éducation

La première étape de la prise en charge en ICV consiste en l’explication de l’utilité et du fonctionnement de cette technique (phase de psycho-éducation nécessaire à tout suivi thérapeutique). La praticienne Joanna Smith, précurseuse de l’application de l’ICV en France, aborde le sujet de la manière suivante avec ses patient·es psychotraumatisé·es : “La mémoire traumatique, c’est du passé qui n’est pas passé. Bien que votre esprit soit conscient que l’événement traumatique est bien terminé, votre corps continue de réagir comme s’il était encore menacé. En répétant la liste de vos souvenirs depuis cet évènement, nous allons prouver à tout votre système corps-esprit que ce que vous avez vécu appartient au passé, que le danger est terminé

Construction de la ligne du temps

Une fois que la personne a bien compris le fonctionnement de l’ICV, elle doit réaliser, seule ou avec sa thérapeute, sa ligne du temps. Cette liste de souvenirs-signaux (souvenirs significatifs, qu’ils soient positivement ou négativement connotés) permettra de retracer chaque période de vie depuis l’événement traumatique ou depuis la naissance jusqu’au moment présent.

Comment construire sa ligne du temps ? – recommandations de l’institut Double Hélice. 

Pour établir cette liste, laissez venir spontanément vos souvenirs. Essayez de vous rappeler au moins un souvenir par an ; pour la plupart des gens, le souvenir le plus ancien remontera à l’âge de 2 ou 3 ans.

Un tableau chronologique organisé par années, de votre naissance au présent, et indiquant l’âge que vous aviez à chacune de ces années, vous permettra de respecter au mieux l’ordre chronologique de vos souvenirs. Écrivez quelques mots ou phrases courtes qui vous rappellent ces événements passés. N’écrivez pas plus de deux ou trois souvenirs par an. 

Votre thérapeute n’a pas besoin de comprendre ce à quoi chacun de ces souvenirs se rapporte ; néanmoins, il est important qu’elle soit informée des souvenirs se référant à des événements traumatiques. Au cours des séances d’ICV, votre thérapeute vous lira un souvenir par an, ou peut-être un souvenir par deux, quatre, voire huit ans.

Les souvenirs utilisés comme signaux doivent être spécifiques à une année seulement. Par exemple : “Je travaille chez Ikea” serait un signal déroutant pour quelqu’un y ayant travaillé de nombreuses années. Dans ce cas-là, le signal devrait être plus précis, comme par exemple : “Georgia devient manageuse chez Ikea”. Écrivez de manière lisible ou tapez à l’ordinateur. 

Les signaux doivent être des souvenirs dont vous vous souvenez vraiment et non des scènes que vous avez vues en photos et dont vous ne vous souvenez pas. Les signaux peuvent aussi être votre première rencontre avec une personne ou le souvenir d’un voyage dans un lieu précis. Si vous utilisez des verbes pour vos souvenirs signaux, utilisez le présent de l’indicatif.

Les souvenirs n’ont absolument pas besoin d’être perturbants. En revanche, assurez-vous d’ajouter les événements importants tels que le décès de personnes chères, les accidents et autres traumatismes, les mariages, les divorces et la naissance de vos enfants. Les souvenirs signaux doivent couvrir votre vie dans son ensemble, du plus vieux au plus récent.

Exemple de souvenirs signaux pour les âges de 10 à 13 ans :
1989 10 ans – meilleur ami Gus
1990 11 ans – je déménage à Chicago / je rentre au collège
1991 12 ans – colonie de vacance avec Will
1992 13 ans – je skie avec Jen / cérémonie du brevet des collèges

Répétitions

Lorsque la ligne du temps a été complétée et relue par la thérapeute, il est alors possible de commencer les répétitions. La thérapeute lira à voix haute, sur un ton neutre et rythme rapide, les différents souvenirs de la personne dans l’ordre chronologique, afin d’en faciliter l’intégration. 

Au fur et à mesure des répétitions, il est probable que la personne se sente activée, stressée par cette liste de souvenirs, dont certains sont désagréables. C’est pourquoi, entre chaque répétition, la thérapeute invitera la personne à formuler son ressenti, marcher, s’étirer ou s’ancrer plus profondément dans le moment présent, afin d’éviter à la personne de rester bloquée dans les sensations perturbantes déclenchées par la réactivation de souvenirs douloureux voire traumatiques, et de rendre moins difficile la répétition suivante. Il est du ressort de la thérapeute d’aider la personne à rester dans sa fenêtre de tolérance (rester dans la zone verte), afin de maximiser l’intégration. Cette connexion empathique, cette confiance construite entre thérapeute et patient·e, nommée accordage en ICV, correspond à la communication entre les systèmes nerveux appelée neuroception.

Le nombre de répétitions sera variable selon l’objectif de la séance d’ICV, pouvant se situer par exemple entre 8 et 15 répétitions pour un protocole de Souvenir Explicite Perturbant et 20 à 30 répétitions pour un protocole TSPT. Ainsi, les séances d’ICV peuvent durer de 50 à 90 minutes

Fin de séance

Lorsque la séance se termine, les patient·es s’apaisent de plus en plus, les sensations corporelles désagréables disparaissent, le corps se relâche. On remarque un vécu émotionnel plus serein et plus positif, une sensation de sécurité, avec des perspectives différentes sur les événements (réalisation que le passé est passé et ne peut être changé, lâcher-prise, capacité nouvelle à se projeter dans l’avenir…).

Bien que l’exacte neuroscience expliquant comment notre système nerveux intègre de nouvelles informations soit toujours en grande partie inconnue, les résultats des recherches officielles sur l’Intégration du Cycle de la Vie ainsi que les retours de milliers de thérapeutes utilisant cette technique témoignent de sa capacité à prouver le passage du temps au niveau neuronal.

Balkus, B. (2012). Lifespan Integration effectiveness in traumatized women. Northwest University.

Hu, M. (2014). Lifespan Integration efficacy: A mixed methods multiple case study. Trinity Western University (Canada).

Pace, P. (2018). Pratiquer l’ICV-2e éd.: L’Intégration du Cycle de la Vie (Lifespan Integration). Dunod.

Rajan, G., Wachtler, C., Lee, S., Wändell, P., Philips, B., Wahlström, L., … & Carlsson, A. C. (2020). A one-session treatment of PTSD after single sexual assault trauma. A pilot study of the WONSA MLI project: A randomized controlled trial. Journal of Interpersonal Violence.

Smith, J. (2017). Psychothérapie du trauma et des troubles dissociatifs par l’intégration du cycle de la vie: présupposés théoriques et applications cliniques. European Journal of Trauma & Dissociation, 1(3), 165-170.

Se faire du bien : une routine anti-inflammatoire

Si vous n’avez en ce moment pas l’énergie pour lire la partie théorique de cet article, nous vous invitons à vous intéresser uniquement aux encadrés violets, qui correspondent à des conseils pratiques.

Une vision holistique du traumatisme

Comme expliqué dans nos articles précédents, un événement traumatique affecte la personne victime dans son entièreté

Le système nerveux autonome perd de sa fluidité, et passe plus de temps en mode sympathique (détresse) et/ou parasympathique dorsal (dissociation) que chez les personnes non traumatisées. Cette altération du système nerveux autonome a des répercussions directes sur ce que l’on appelle l’hygiène de vie (le sommeil, l’alimentation) et sur la santé globale (notamment sur le système immunitaire).

Afin de restaurer la flexibilité du système nerveux et d’apaiser la symptomatologie traumatique, deux solutions sont possibles, et, dans l’idéal, complémentaires. D’un côté, il est important de proposer des soins du haut vers le bas (ou top-down), soit du cerveau vers le reste du corps, notamment via les discussions avec une thérapeute qui va aider au processus d’élaboration de sens et de psychoéducation et avoir recours à des techniques thérapeutiques adaptées (hypnose, EMDR…). D’un autre côté, il est nécessaire d’encourager les soins du bas vers le haut (ou bottom-up), soit du reste du corps vers le cerveau (yoga, chant, danse…). A travers les fibres nerveuses afférentes, c’est-à-dire qui transportent des messages depuis les organes vers la boîte crânienne, ces approches permettent en effet de faire comprendre à la partie non rationnelle du cerveau des personnes traumatisées que le danger est passé et qu’elles sont désormais en sécurité.

C’est pourquoi nous considérons que l’accompagnement des personnes traumatisées à la mise en place d’une routine anti-inflammatoire quotidienne fait partie intégrante de la prise en charge thérapeutique. En aidant à réduire progressivement le syndrome inflammatoire, ces habitudes permettent à notre organisme de retrouver plus d’énergie, une meilleure flexibilité, une stabilité nouvelle. 

Nous tenons à remercier une nouvelle fois la thérapeute Carolyn Spring pour ses explications dans ce domaine, qui nous ont permis d’orienter nos recherches dans cette direction. 

Comprendre le syndrome inflammatoire

Lorsque notre organisme détecte un danger, par exemple l’intrusion d’une bactérie pathogène, le système immunitaire, soit l’ensemble des organes et glandes dédié·es à notre défense, libère des cytokines, qui forment une famille complexe de cellules immunitaires. Ces messagers chimiques aident les cellules à communiquer entre elles et stimulent la réponse inflammatoire, qui correspond à un sursaut défensif de notre système immunitaire. Les réactions immunitaires doivent être à la fois suffisamment intenses et ciblées pour combattre efficacement l’intrus détecté (les mécanismes varient en fonction de l’agent pathogène), sans pour autant attaquer les cellules saines de l’organisme. Ces réactions doivent également pouvoir être stoppées lorsque l’agent pathogène a été neutralisé et qu’elles n’ont plus de raison d’être : c’est notamment le rôle de l’acétylcholine, un neurotransmetteur dont la production est commandée par le nerf vague, un nerf dont le bon fonctionnement est capital pour la guérison des psychotraumatismes. 

Fonctionnement de la réponse inflammatoire immunitaire classique :

De manière très schématique, on peut imaginer les cytokines comme une pédale d’accélérateur de la réponse inflammatoire du système immunitaire et l’acéthylcholine comme un frein anti-inflammatoire, chacune ayant sa fonction et devant être utilisée à bon escient.

Dans le cadre d’un psychotraumatisme, notre amygdale cérébrale devient hypersensible, réagissant à des stimuli minimes exactement comme elle a réagi à l’agression subie, ce qui conduit notre système nerveux à passer très souvent en mode survie. Dans ce mode survie, un danger est détecté, et des cytokines vont être relâchées exactement de la même manière que face à un agent pathogène. 

Origine évolutive

Tout ceci se complique, dans la mesure où la production et la diffusion répétée de cytokines, comme c’est le cas pour un organisme traumatisé, produit des dégâts collatéraux sur les cellules environnantes. Les cytokines induisent en outre un état de malaise (fatigue, baisse d’énergie, somnolence, moral au plus bas et envie d’être seul·e), que les anglophones ont baptisé sick behaviour. Ce mécanisme tient ses origines dans l’évolution de notre espèce : lorsqu’un individu attrapait une infection, que son système immunitaire produisait une réponse inflammatoire, cet individu devait s’éloigner de sa communauté afin de ne pas transmettre l’infection. Cette mise à l’écart minimise également l’exposition à des individus qui pourraient profiter de notre état de vulnérabilité. C’est pourquoi, lorsque nous sommes malades, nous n’avons envie de rien d’autre que de nous glisser sous la couette et de ne voir personne, sauf nos très proches, qui sont censé·es prendre soin de nous. 

Nous pouvons également relier ce mécanisme à la dépression, dont l’un des signes connus est le fait de ne plus vouloir sortir de son lit ou rencontrer des ami·es. En effet, il a été démontré que les personnes traversant un épisode dépressif (très souvent suite à un ESPT – État de Stress Post Traumatique) présentent des niveaux de cytokines anormalement élevés. Leur organisme produit une réponse inflammatoire et c’est ce qui explique, ou du moins entretient, leur mise en retrait du monde. 

Traumatismes et maladies inflammatoires

De nombreuses maladies inflammatoires sont ainsi à mettre en lien avec le traumatisme et la dépression. De même, le diabète de type 2, les syndromes métaboliques, les maladies cardiovasculaires, auto-immunes, neuro-évolutives etc. ont toutes été reliées à de hauts niveaux d’inflammation.

Une hormone du stress : le cortisol

Comme nous l’avons vu en abordant les Mécanismes du psychotraumatisme, lorsqu’un danger est détecté par le thalamus, l’amygdale cérébrale tire la sonnette d’alarme. Les glandes surrénales libèrent alors notamment une hormone nommée cortisol. Le cortisol stimule la libération de glucose (sucre constituant une réserve d’énergie) dans le sang. Le pancréas libère de l’insuline, permettant aux cellules musculaires d’utiliser le glucose libéré pour fonctionner. L’organisme dispose ainsi d’une grande réserve d’énergie débloquée pour se défendre ou pour fuir le danger. 

En outre, le cortisol libéré dans le sang joue un rôle de feedback, censé signaler à l’organisme que la réponse à la menace doit se terminer. En effet, pour agir, le cortisol doit se lier aux récepteurs des cellules de l’organisme. Lorsque ces récepteurs ont reçu assez de cortisol pour fonctionner, les molécules de cette hormone parcourent le chemin en sens inverse, jusqu’aux glandes surrénales, donnant ainsi l’information de la fin de la réponse de stress. 

Pour une personne régulièrement sujette au stress, typiquement psychotraumatisée, la sécrétion trop fréquente de cortisol peut entraîner des conséquences néfastes sur la santé. En effet, une dose trop élevée et chronique de cortisol, ou hypercortisolémie, peut sur le long terme entraîner une résistance à l’insuline, phénomène associé au diabète de type 2. L’organisme se sentant toujours en danger, le taux de cortisol, et donc d’insuline, vont avoir tendance à rester trop élevé trop longtemps, ce qui va progressivement éroder la capacité de l’insuline à transmettre le message dont elle est supposé être porteuse – un peu comme si elle avait trop souvent “crié au loup” au point qu’on finisse par ne plus y prêter attention. Le glucose ne sera plus assimilé par les cellules musculaires et restera dans le sang : c’est l’hyperglycémie.

L’inflammation explique les symptômes du psychotraumatisme, et vice-versa

Nous l’avons vu, dans le cadre d’un État de Stress Post Traumatique, l’amygdale est hyper-réactive, ce qui entretient une hyperactivation neurovégétative (c’est-à-dire du système nerveux autonome) et, à terme, une inflammation chronique. L’organisme est bloqué dans le passé, il continue de réagir comme face à une menace extrême, même face à des situations peu ou pas dangereuses. Sur le long terme, plus l’inflammation est importante, plus le taux de cortisol va être amené à baisser (hypocortisolémie), empêchant l’organisme d’éteindre la réponse de peur face au danger. La sous-activation du système nerveux parasympathique ventral qui en résulte va peu à peu éroder la capacité de l’aire cérébrale frontale à communiquer efficacement avec l’amygdale, et entretenir un cercle vicieux inflammatoire dans tout l’organisme.

Apaiser le syndrome inflammatoire peut aider à soulager certains symptômes somatiques et à enrayer le cercle vicieux qui lie l’inflammation au stress, ce qui constitue selon nous un élément clé de la thérapie. C’est pourquoi nous avons souhaité exposer différents moyens de réduire l’inflammation.

Faire de son mieux

L’équipe du Centre Bertha Pappenheim tient à préciser qu’elle connaît les limites des conseils détaillés ici, visant à réduire l’inflammation. Notre objectif n’est évidemment pas de prétendre qu’un bon repas ou une bonne nuit de sommeil suffit à guérir d’un psychotraumatisme. Il nous semble néanmoins important de rendre accessibles les outils théoriques permettant de comprendre, étape par étape, pourquoi et comment un repas ne contenant pas de produits industriels et une nuit de 8 heures peuvent aider à récupérer de l’énergie, énergie s’avérant cruciale dans le processus thérapeutique. 

Il n’est pas question de faire culpabiliser les personnes qui nous lisent : nous sommes parfaitement conscientes que c’est précisément le traumatisme qui altère le fonctionnement de l’organisme et qui nuit à l’hygiène de vie. Nous tenons par ailleurs à préciser que nous n’arrivons pas forcément nous-mêmes à appliquer tous ces conseils dans notre vie quotidienne. Nous faisons de notre mieux, en fonction des journées et de notre histoire personnelle. Nous essayons d’intégrer progressivement ces conseils dans notre routine, en commençant par ce qui nous paraît le plus facile, en nous adaptant au contexte et en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un apprentissage à faire, d’un processus non linéaire

De même que pour la Trousse de secours contre la détresse, nous suggérons de piocher au fur et à mesure dans ces conseils afin de construire votre propre routine ressourçante.

Prendre soin de son sommeil

De nombreuses études ont démontré le rôle essentiel du sommeil sur la santé physique et psychique, notamment sur la réduction de la réactivité émotionnelle et l’intégration des souvenirs, ainsi que sur la réduction de l’état inflammatoire. 

Le sommeil est modulé par deux processus : 

  • Le rythme circadien (qui signifie étymologiquement “environ (circa) un jour (dia)”), soit un cycle d’environ 24 heures qui se caractérise par l’alternance entre le jour et la nuit, alternance qui déclenche dans l’organisme des modifications destinées à assurer successivement un éveil et un sommeil optimum.
  • La pression au sommeil, soit le temps qui s’est écoulé depuis la dernière fois où l’on a dormi, mesuré via l’accumulation d’une neurotransmetteur appelé adénosine.

Tout notre corps est dépendant du rythme circadien : il a été programmé par des milliers d’années d’évolution pour réagir à l’alternance entre jour et nuit, qu’il mesure à travers les contrastes de luminosité. Bien que des variations individuelles existent, notre corps a été conçu pour être en éveil et en action lorsqu’il fait jour et au repos lorsqu’il fait nuit. L’exposition à la lumière naturelle permet non seulement la sécrétion immédiate de mélatopsine, hormone assurant le maintien en éveil, et la production de mélatonine, hormone du sommeil qui sera stockée et relâchée seulement lorsque la luminosité aura décliné.  Le rythme circadien se base donc sur une fixité temporelle (le soleil se lève et se couche tous les jours) et sur un fort contraste entre lumière et obscurité. Il est réinitialisé chaque jour à partir du moment où la lumière frappe notre rétine au réveil. Les variations hormonales commandées par le rythme circadien agissent notamment sur notre température corporelle et sur notre humeur : sauf dérèglement lié par exemple aux conditions de travail ou à un stress post-traumatique, nous avons tendance à nous sentir plus énergiques, plus dynamiques, pendant la journée que le soir, où nous pouvons avoir l’impression de fonctionner au ralenti voire d’être un peu maussades. La production d’hormones digestives à des heures précises, devant suivre la prise de repas, est également régulée par le rythme circadien.  

Les troubles du sommeil (insomnie d’endormissement ou réveil matinal, cauchemars, hypersomnie diurne, etc.) sont très répandus dans le cadre de psychotraumatisme, particulièrement pour les victimes d’inceste dans l’enfance pour qui la chambre et le lit sont associés aux violences subies. Chez ces personnes, le rythme circadien est souvent très perturbé : reculant devant la perspective des ruminations nocturnes et/ou des cauchemars traumatiques, elles tendent à retarder au maximum l’heure de l’endormissement, avec pour effet un décalage progressif du rythme circadien qui se traduira par une faible exposition à la lumière extérieure. Les variations de la température corporelle et de l’humeur sont désynchronisées, pouvant amener à se sentir moins énergique, avec le moral dans les talons, durant la matinée. Ce déphasage alimente le cercle vicieux des troubles du sommeil et du stress post-traumatique : non seulement l’endormissement tendra à être de plus en plus difficile, mais les phases du sommeil seront altérées, avec pour conséquence un amoindrissement de la capacité de régénération de l’organisme et de traitement de l’information par le cerveau.

Le sommeil est en effet organisé en différentes phases, chacune ayant  un rôle particulier. La dernière phase du sommeil, le sommeil paradoxal ou REM (Rapid Eye Movement), est responsable de la réorganisation et de l’assimilation de nos souvenirs de la journée. Les régions du cerveau activées durant cette phase [amygdale et cortex cingulaire antérieur (émotions), cortex moteur (mouvements), cortex associatif (connections), cortex préfrontal (raisonnement) et locus coeruleus (stress)] rejouent les souvenirs et les émotions de la journée dans un environnement censé être beaucoup moins stressant : nos rêves. Les souvenirs sont alors débarrassés de leurs gaines émotionnelles, et sont intégrés à la mémoire autobiographique. C’est pourquoi le sommeil paradoxal est notamment crucial en cas de traumatisme et au cours d’une thérapie ! Or, il a particulièrement lieu dans le dernier quart de la nuit : entre la 6ème et la 8ème heure de sommeil. Lorsque le sommeil est retardé et les nuits raccourcies, l’organisme va s’adapter en déclenchant cette phase de manière anticipée, ce qui se fera non seulement au détriment du sommeil dit profond, au cours duquel l’organisme se régénère, mais aura par ailleurs tendance à aggraver les cauchemars traumatiques. Or, les aires sous-corticales du cerveau ne faisant pas la distinction entre ce qui est réellement vécu et ce qui est se joue dans l’imaginaire, cela viendra aggraver le stress post-traumatique, et donc les troubles du sommeil qui l’accompagnent. De plus, et assez ironiquement, le sommeil paradoxal est perturbé par la prise de médicaments hypnotiques ou antidépresseurs, que les personnes traumatisées prennent justement pour apaiser les symptômes du traumatisme. 

L’une des hypothèses de l’efficacité de l’EMDR dans le traitement des psychotraumatismes réside dans la capacité de cette thérapie à reproduire les mouvements rapides des yeux qui surviennent durant le sommeil paradoxal, phase cruciale de retraitement et de « digestion émotionnelle » de l’information.

Les bons réflexes pour améliorer son sommeil, son humeur, et permettre à notre cerveau de mieux assimiler les souvenirs de la journée (ce qui est particulièrement important après une séance de thérapie) :
 
Réaccorder son rythme circadien : s’exposer à la lumière, au soleil, pendant la journée (afin de booster la production de mélatopsine, hormone maintenant en éveil, qui sera relâchée immédiatement, et de mélatonine, hormone du sommeil qui sera stockée jusqu’au soir) ; éviter la lumière et les écrans pendant la soirée (afin de relâcher la mélatonine précédemment produite) ; couper la lumière bleue sur nos appareil pendant la soirée (via différentes applications), dormir dans l’obscurité la plus complète possible. Essayer de nous lever, coucher, et prendre nos repas à des heures régulières (même pendant les weekends, afin d’éviter de décaler notre rythme circadien et d’avoir plus de difficultés à nous endormir tôt le dimanche soir). 

Maximiser la pression au sommeil : éviter la caféine, qui empêche l’adénosine de se fixer aux récepteurs cellulaires (le cerveau ne comprend plus qu’il est fatigué), et stimule la production de noradrénaline (qui entrave le processus de rêve, indispensable au traitement adéquat et à la mémorisation de l’information). Essayer également de se lever tôt, d’être active dans la journée et de ne pas faire de sieste, afin d’accumuler de l’adénosine qui nous permettra de nous endormir le soir. 

Maximiser son sommeil paradoxal : dormir au moins 8 heures par nuit, éviter l’alcool (dont les effets maximisent plutôt le sommeil profond). 

Agir avec et pour ses tripes

Puisqu’il est communément admis qu’ingérer un médicament (anxiolytique, antidépresseur) affecte notre humeur et notre santé mentale, il devrait en être autant pour notre alimentation !

Quelques informations à connaître à propos de notre système digestif, ce deuxième cerveau

  • Le système digestif est contrôlé par le système nerveux entérique, un sous-composé du système nerveux autonome. Il est principalement innervé par le nerf vague, grand régulateur du bien-être physique et émotionnel. De nombreux liens ont été établis entre l’état de notre système digestif et le stress. C’est ce lien qui, dans des cas extrêmes, peut conduire les personnes terrorisées à se déféquer dessus. Ce lien est bi-directionnel : non seulement le stress peut altérer les fonctions digestives, mais l’état de notre système entérique, notamment de l’équilibre de nos bactéries intestinales, peut agir sur notre état émotionnel. Concernant le premier axe, le syndrome de l’intestin irritable semble par exemple être le plus souvent associé à des épisodes d’anxiété. Quant au second, il a récemment été découvert que 90% de la sérotonine, une hormone essentielle à la régulation de l’humeur, est fabriquée non pas dans notre cerveau comme on pourrait le croire, mais dans notre système digestif ! 
  • Ce sont souvent les bactéries qui peuplent notre système digestif (appelé microbiote intestinal) qui créent nos envies d’une nourriture bien précise (dits cravings en anglais), afin que nous leur fournissions ce dont elles ont besoin pour pouvoir bien fonctionner. Lorsque nous fournissons à nos bactéries ce qu’elles demandent, elles nous récompensent avec des hormones de plaisir (sérotonine/dopamine). Elles ont de ce fait un réel impact sur notre humeur. Une grande diversité de bactéries intestinales est également associée à un mieux-être et un  risque de maladies plus faible. 
  • La paroi intestinale est très mince et fragile : chaque jour, nous remplaçons entre 10 et 14% des cellules qui la constituent, trop abîmées par le processus extrêmement coûteux qu’est la digestion. Or, ce processus de réparation ne peut avoir lieu en même temps que la digestion. Si la prise de repas n’est pas assez espacée, si nous grignotons continuellement, nous ne laissons par conséquent pas assez de temps à la paroi intestinale pour se réparer. La perméabilité de la paroi intestinale, qui risque d’en résulter sur le long terme, altérera l’ensemble du fonctionnement de l’organisme – d’autant que 70-80% des lymphocytes, acteurs majeurs du système immunitaire,  se situent dans le tractus gastro-intestinal.
Les bons réflexes à adopter pour améliorer sa digestion, son humeur, et réduire l’inflammation :

Éviter les aliments hautement inflammatoires (viandes, produits laitiers, produits transformés, glucides raffinés) et privilégier les légumes verts, légumineuses, fruits et noix. Consommer un maximum d’aliments végétaux est au global un très bon choix pour sa santé

Aider l’organisme à digérer : manger lentement permet à notre corps de produire les enzymes nécessaires à la métabolisation de chaque aliment, et prendre le temps de mâcher sa nourriture facilite le travail de nos sucs digestifs.

Permettre à la paroi intestinale de se réparer : passer au moins 12 heures et jusqu’à 16 heures continues sans manger (par exemple ne prendre qu’un déjeuner et un dîner) comme le suggèrent les recherches autour du jeûne intermittent

Sous réserve d’un avis médical, il peut être opportun de se supplémenter en probiotiques (notamment bifidobacterium et lactobacillus) afin de restaurer un bon équilibre du microbiote intestinal. 

Stimuler son nerf vague

Notre routine anti-inflammatoire peut inclure  des gestes aidant à activer le nerf vague. Ces micro-étapes, plus faciles à mettre en œuvre qu’un changement radical d’hygiène de vie pour commencer, permettent de restaurer la fluidité de notre système nerveux autonome, et notamment de passer plus de temps en “zone verte”, zone de bien-être, associée au nerf vague ventral. En bonus, passer plus de temps en zone verte aidera à mettre en place la routine de sommeil et d’alimentation précédemment décrite. 

Nous réserverons d’autres articles à l’explication  précise du fonctionnement du nerf vague. En attendant, nous vous encourageons à lire et intégrer petit à petit, à votre rythme, sans pression aucune, ces gestes dans votre vie quotidienne.

Vous pouvez retrouver ces conseils dans les deux ouvrages suivants  : 

  • Activez votre nerf vague – Contre le stress, l’inflammation, les troubles digestifs, les maladies auto-immunes…, du Dr Navaz Habib. 
  • Stimuler le nerf vague pour faciliter la guérison  : Techniques et exercices pour améliorer le bien-être physique, émotionnel et social, de Stanley Rosenberg.
Les bons réflexes à adopter pour activer son nerf vague :

Chaque jour : se gargariser après le brossage des dents quotidien, activer son réflexe pharyngé en effleurant avec sa brosse à dent le voile du palais, chanter, fredonner, bourdonner en faisant vibrer le fond de sa gorge, prendre des douches froides, respirer profondément et ventralement, s’exposer au soleil, dormir sur le côté avec un oreiller entre les jambes. 

Chaque semaine : mettre son corps en mouvement via des séances de yoga, pilates ou légers exercices et étirements, rencontrer des proches en personne et non seulement au téléphone, écouter de la musique apaisante, pratiquer la pleine conscience

Adda, L., Abou Melhem, S., & Pol, J. (2020). Le jeûne réduit l’inflammation associée aux maladies inflammatoires chroniques sans altérer la réponse immunitaire aux infections aiguës. Médecine/Sciences, 36(6-7), 665-668.

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Une trousse de secours contre la détresse

Le principe

Lorsque l’on souffre de stress post-traumatique, le moindre bruit, mouvement, odeur ou situation que la partie de notre cerveau chargée de notre survie associe à l’événement traumatisant peut nous faire basculer dans un état de stress extrême. C’est tout le problème de la mémoire traumatique : tandis qu’on se remémore un souvenir classique, un souvenir traumatique, lui, est revécu, à l’identique. Les frontières entre passé et présent sont brouillées. Notre amygdale cérébrale tire la sonnette d’alarme du corps et enclenche le mode survie :  alors qu’il n’y a présentement aucun danger, cette structure de notre cerveau nous pousse à l’action ou à la fuite, car pour elle, il y a réellement urgence à agir pour se protéger.  Cet état correspond à la zone orange du schéma des trois états du système nerveux autonome

A ce moment précis, la partie de notre cerveau qui est responsable de la réflexion et de la prise de décision, le lobe pré-frontal, est comme déconnectée. Seules les régions les plus primaires, dédiées à la survie et aux émotions, sont activées (sous-cortical, système limbique, lobes occipital et temporal internes).

La détresse est intolérable, tout notre corps nous hurle d’agir alors que la déconnexion de notre lobe frontal nous en empêche. Une crise d’angoisse est alors susceptible de se déclencher. Si l’hyperventilation en est la manifestation la plus connue, elle peut s’exprimer de multiples autres manières, comme par des hurlements et/ou des mouvements brusques incontrôlables, souvent associés à une envie irrépressible de se faire du mal. Lorsque notre organisme se retrouve plongé dans cet état trop régulièrement, le stress finit par se chroniciser, entraînant dans son sillage de nombreux effets délétères, tant sur le plan physique que psychique. Les états dépressifs et suicidaires en font partie. On peut ainsi distinguer deux manifestations de l’état physiologique correspondant à la zone orange :  la panique, qui correspond à une crise intense mais de durée limitée, et le désespoir, qui est elle aussi une forme de détresse aiguë mais qui s’installe sur le long-terme.  

Pour réduire cette souffrance, de court comme de long-terme, il est possible de chercher volontairement à basculer en état de dissociation, ce qui correspond à la zone rouge des trois états du système nerveux autonome, afin de ne plus rien ressentir (via des conduites auto-agressives telles que se frapper soi-même, se scarifier ou prendre une douche brûlante, via l’ingestion de substances psychoactives, ou tout autre forme de conduite à risques). Bien que ces méthodes de fortune puissent donner l’illusion d’apporter un soulagement sur le moment, elles participent à un cercle vicieux qui, à moyen et long terme, ne fera qu’aggraver les symptômes. 

Plutôt que de se dissocier pour sortir de cette zone orange de la fuite ou du combat, il est possible de reconnecter son lobe pré-frontal et de réactiver son nerf vagal ventral, ce qui permet de retrouver un état physiologique apaisé qui correspond à la zone verte. Pour cela, nous proposons de vous constituer, seul·e ou avec une thérapeute, une trousse de secours, facilement accessible en cas d’urgence. Cet outil, qui nous provient de la thérapeute, autrice, et survivante Carolyn Spring, permet de contourner l’obstacle de la déconnexion entre cerveau émotionnel et cerveau rationnel qui caractérise le stress aigu, en rendant accessible des dispositifs “clé en main” pour y faire face. 

Que mettre dans sa trousse ?

Ces conseils peuvent être écrits sur des petits papiers et rassemblés avec des objets utiles dans une boîte qui deviendra alors, matériellement, la trousse à sortir lorsque l’angoisse monte. Certains conseils peuvent vous parler plus que d’autres ou se révéler plus efficaces une fois testés : faites vous confiance et n’hésitez pas à les adapter à vos besoins. 

Prêter attention

Afin d’apprivoiser la détresse, il est important d’apprendre à l’identifier. Notez sur un carnet ce que vous ressentez, prêtez attention à vos émotions, aux crispations de vos muscles ou viscères et autres sensations corporelles. Essayez de déterminer ce qui a déclenché ce basculement de détente à angoisse et notez-le également. Le simple fait d’observer consciemment ce qui se passe en vous, notamment lorsque vous éprouvez un certain inconfort, mobilise votre cortex préfrontal médian, siège de la conscience de soi. Vous apprendrez ainsi à mieux connaître votre fonctionnement et, à force d’entraînement dans des situations inconfortables ou à la suite d’une crise, vous deviendrez de plus en plus capables d’anticiper et même de désamorcer ces dernières.

Stratégies relationnelles

Reconnection du cortex orbitofrontal (région responsable de l’attachement et de l’interaction sociale).

  • Garder dans sa trousse de secours une liste de personnes ressources pouvant être contactées lorsque l’on se sent basculer dans la zone orange. 
  • Avoir des notes sur quoi dire quand on a besoin d’aide, des emails pré-rédigés, même de manière minimaliste (« J’ai besoin d’aide »), afin de faciliter l’entrée en contact. 

La présence physique d’une personne ressource capable de rester calme face à la détresse d’autrui peut aider à utiliser les outils détaillés ci-dessous. Faute de présence physique, un appel caméra peut également être d’une grande aide, plus qu’un échange de messages.

Stratégies introspectives

Reconnection du cortex préfrontal médian (région responsable de la conscience de soi). 

  • Restaurer la sensation d’unité corps-esprit : solliciter les 5 sens (vue, audition, kinesthésie, ouïe, goût) avec des questions comme “Nomme le plus petit objet bleu que tu vois.”, “Peux-tu identifier trois choses que tu entends ?”, “As tu un goût dans ta bouche ?”, “As tu la vessie pleine ?” ; se prendre mutuellement dans les bras avec une autre personne pour bouger ensemble (comme pour danser un slow) ; malaxer, taper ou jouer avec un objet mou ; sentir des huiles essentielles aux vertus apaisantes (lavande, petit grain bigarade, marjolaine à coquille, camomille romaine…) ; pratiquer un exercice de respiration de type cohérence cardiaque ; marcher, sauter sur place, s’étirer ; vocaliser voire chanter ; caresser un animal ; passer les mains sous l’eau froide ou chaude ; toucher une texture que l’on aime ; écouter une chanson que l’on aime ; mordre dans un aliment acide ; ou encore pratiquer les techniques du câlin papillon ou exercices de réduction des tensions (TRE), après explication par une thérapeute.
  • Réflexions méta-cognitives : prévoir des phrases pré-remplies aidant à prendre du recul sur ses pensées et émotions, par exemple “Je suis en train de ressentir…”, “La pensée que j’ai actuellement est…”.

Stratégies cognitives

Reconnection du cortex préfrontal dorsolatéral (région responsable de l’organisation entre passé, présent et futur, de la planification, de l’inhibition des actes impulsifs, ayant un rôle dans la mémoire et le langage).  

En cas de panique :

  • Faire des exercices de calcul mental ou épeler des mots à voix haute. 

En cas de désespoir : 

  • Garder dans sa trousse de secours une liste de buts et de choses prévues pour le futur, que ce soit pour le lendemain, pour la semaine ou pour l’année prochaine. 
  • Prévoir également une liste décrivant étape par étape les actions les plus simples (comme sortir du lit et prendre une douche). 
  • Rassembler quelques photos ou autres éléments souvenirs, venant témoigner d’instants joyeux et d’instants difficiles où l’on a réussi à s’en sortir. 
  • Solliciter le langage, soit en se fixant un objectif d’écriture (“Je dois écrire 3 pages sur ce carnet avant d’essayer une autre stratégie.”) soit en entrant en dialogue avec une personne ressource contactée. 

L’utilisation régulière de cette trousse de secours est un moyen de désapprendre la crise d’angoisse et les conduites auto-agressives comme réponse par défaut lorsque la détresse monte. Ici, nous pouvons apprendre à notre corps une stratégie d’apaisement ayant des conséquences bénéfiques, nous entraînant ainsi dans un cercle vertueux.

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