Le stress post-traumatique complexe

Avant d’aborder cet article et pour faciliter votre compréhension, nous vous invitons à consulter celui décrivant les Mécanismes du psychotraumatisme

Lors d’un stress post-traumatique complexe, la triade mémoire traumatiqueconduites dissociantes et de contrôlestress chronique qui caractérise le stress post-traumatique se complexifie. Les processus cognitifs et le système nerveux sont affectés à un niveau plus profond et ce n’est plus seulement le comportement, mais aussi la personnalité et les dynamiques d’attachement  qui sont altérées.  

Stratégies de survie 

Dans le monde anglophone, les quatre stratégies de survie des humain·es sont désignées par un mot commençant par un F : Flight, Fight, Freeze, Fawn. Nous proposons de les traduire en français par quatre mots commençant par la lettre D : Déguerpir, se Défendre, se Dissocier, se Dévouer

Face à une menace de violence, les réponses les plus efficaces sont de prendre la fuite ou de riposter. Néanmoins, il arrive qu’aucune de ces deux stratégies ne soit possible (violence sidérante provenant d’une figure d’autorité, par exemple), ce qui pousse notre cerveau à nous faire “disjoncter” : c’est la dissociation. Enfin, dans certaines circonstances, se dévouer à l’agresseur peut constituer une stratégie de survie. Le présent article vise à apporter des éclairages sur ces circonstances, qui font le lit du stress post-traumatique complexe.

Mécanismes spécifiques

Attachement traumatique

Lorsqu’une personne a été soumise à des violences de manière répétée dans un contexte où il ne lui était pas possible d’échapper à son ou ses bourreaux, le système classique de préservation de l’organisme s’avère inopérant. Si les prisons, les camps de concentration ou les prises d’otage viennent généralement en premier à l’esprit, la situation des enfants et des femmes vis-à-vis d’un parent ou d’un conjoint violent, respectivement, relève également de ce cas de figure.

Le cerveau de ces personnes va alors mettre en place des stratégies de survie tout aussi paradoxales que la situation dont elles sont captives, à savoir partager le quotidien d’une personne qui a droit de vie et de mort sur elles. Le syndrome de Stockholm, phénomène en vertu duquel des otages en viennent à s’identifier à leur(s) ravisseur(s) et à se prendre d’affection pour eux, est l’un de ces mécanismes de survie paradoxaux. Une dynamique similaire se met très souvent en place chez les enfants victimes de violences de la part de leurs parents, de même que chez les femmes victimes de violences conjugales : c’est l’attachement traumatique. Pour survivre à un agresseur auquel il est impossible de se soustraire, on peut aller jusqu’à se plier en quatre pour le satisfaire, à faire tout son possible pour lui être utile dans l’espoir de le dissuader de se débarrasser de nous. Cette hyper-serviabilité de survie et l’identification à l’agresseur qui l’accompagne est connue sous le nom de fawning en anglais, que nous proposons de traduire par “dévouement”. 

Troubles de l’identité

L’exposition prolongée aux maltraitances au cours de l’enfance, a fortiori de la part des parents, a un impact considérable sur le développement tant cognitif qu’affectif, de même que sur le système de régulation physiologique. L’entrelacs de troubles du système nerveux, de l’identité et de l’attachement résultant de ces violences correspond à ce que Judith Herman a nommé le “stress post-traumatique complexe” (équivalent du Traumatisme de type III dans la typologie de Terr). Pour mettre en relief les spécificités des violences perpétrées par une personne dont la victime est non seulement proche mais dont les conditions matérielles d’existence même dépendent, autrement dit par l’un·e de ses “principaux pourvoyeur·se·s de soin” (caregivers), Jennifer Freyd parle pour sa part de « traumatismes de trahison« . Bessel Van der Kolk plaide quant à lui en faveur de la notion de « traumatisme développemental » pour désigner les séquelles spécifiques des violences infligées de manière prolongée au cours de l’enfance. 

L’une des séquelles possibles de ces maltraitances est la dissociation structurelle de la personnalité. Comme expliqué dans cet article, la dissociation péri-traumatique est une réaction biologique normale concomitante à l’événement traumatisant. Bien que tout soit censé rentrer dans l’ordre une fois le danger passé, il arrive fréquemment que ce mécanisme adaptatif se chronicise et devienne pathologique : c’est la dissociation post-traumatique. Elle se caractérise généralement par un sentiment d’étrangeté à soi-même (dépersonnalisation) et au monde (déréalisation). La dissociation structurelle de la personnalité correspond pour sa part à un morcellement profond de l’identité : autour d’un noyau identitaire d’apparence plus ou moins “normale”, apte à gérer le quotidien, différentes personnalités indépendantes les unes des autres peuvent se créer, chacune encaissant les expériences traumatisantes à sa manière. Voici ce qu’en dit la thérapeute et survivante Carolyn Spring : 

“La théorie de la dissociation structurelle parle de Personnalité(s) Apparemment Normale(s) (PAN) et de Personnalité(s) Émotionnelle(s) (PE). La PAN va faire son possible pour mettre le traumatisme sous le tapis, pour l’enfouir le plus profondément possible jusqu’à développer parfois une amnésie. Elle peut tout aussi bien utiliser le déni inconscient que l’évitement conscient. Cette facette de la personnalité va de l’avant et fait sa vie quotidienne. Cela peut être un peu robotique. Elle est souvent déconnectée des messages émis par le cerveau limbique, notamment des émotions, et des sensations du corps parce qu’elle essaie d’éviter tout ce qui rappelle le traumatisme. Ensuite, nous avons les parties émotionnelles de la personnalité qui sont bloquées dans le temps du traumatisme. Elles ne peuvent pas voir que le danger est passé parce qu’elles ne reçoivent pas les informations du cortex préfrontal et de la vie quotidienne. Elles sont bloquées dans la zone orange ou rouge, organisées autour de la gestion du danger. Ces parties peuvent proliférer car le fonctionnement intégratif du cortex préfrontal est très altéré. Cela aboutit donc à un trouble dissociatif avec de multiples parties de la personnalité fonctionnant indépendamment, sans être intégrées les unes aux autres.”

En fonction de la gravité et de la chronicité des violences subies, la dissociation structurelle de la personnalité peut être

  • primaire : une seule PAN et une seule PE
  • secondaire : une seule PAN et plusieurs PE.
  • tertiaire : plusieurs PAN et plusieurs PE.

État inflammatoire généralisé

L’exposition régulière à des violences au cours de l’enfance va amener le système nerveux consacré à la survie (correspondant aux zones orange et rouge de notre schéma des trois états du système nerveux autonome) à prendre le dessus, au détriment du système parasympathique ventral associé au calme et à la confiance (ladite zone verte). Ce dysfonctionnement va progressivement entraîner une inflammation généralisée de l’organisme, terreau propice au développement de nombreuses pathologies, dont nous avons dressé une liste non-exhaustive dans cet article. Résultat : le fait d’avoir subi au cours de l’enfance une combinaison de différentes formes de violences dont sexuelles réduit l’espérance de vie en moyenne de vingt ans.

Comprendre et combattre les violences

Nous remercions Muriel Salmona, pour ses recherches, sa pédagogie, et son association Mémoire Traumatique et Victimologie, dont la partie suivante est un condensé du site internet ; ainsi que toutes les chercheuses et thérapeutes féministes qui l’ont précédée dans ce combat qui est aussi le nôtre. 

Comme indiqué sur le site Mémoire Traumatique et Victimologie, les violences inter-humaines, telles que les violences intra-familiales (maltraitance psychologique, physique ou sexuelle, inceste, violences conjugales), surtout si elles sont répétées, sont les plus grandes pourvoyeuses de psychotraumatismes. Il est aujourd’hui reconnu que les viols sont, avec la torture, les violences qui ont les conséquences psychotraumatiques les plus graves. Plus de 80% des victimes de viol développent un état de stress post-traumatique chronique associé à des troubles dissociatifs

La méconnaissance des mécanismes psychotraumatiques par l’entourage et même par les professionnel·le·s de la justice joue contre les victimes, auxquelles on reproche paradoxalement l’incohérence de leur récit ou leurs conduites « à risque » alors que ces manifestations constituent en réalité une preuve de véracité (Muriel Salmona parle de « signes pathognomoniques« , c’est-à-dire caractéristiques, des violences sexuelles).

Les violences sexistes et sexuelles sont graves. Elles ont des conséquences dévastatrices sur la santé des femmes et des enfants (partie de la population la plus exposée aux violences) qui sont encore trop souvent négligées par notre système de santé. Au mieux, les symptômes sont pris en compte et éventuellement pris en charge, mais le lien avec les violences subies n’est pas explicitement établi – et le problème n’est donc pas traité à la racine.

Ces violences sont intentionnelles. Elles ont pour but de contraindre, d’exercer un rapport de force, un pouvoir, une emprise, une domination. Les agresseurs, dans l’écrasante majorité des hommes, s’autorisent à avoir ces comportements et sont responsables de leurs actes. Ils ne sont pas “maladroits” et n’ont pas “mal compris”. Ils suivent une stratégie bien précise, que le Collectif Féministe Contre le Viol nomme la stratégie de l’agresseur, et qui repose sur 5 piliers : isoler la victime ; la dévaloriser ; retourner la culpabilité ; terroriser la victime ; assurer son impunité.

Pour en apprendre plus sur cette stratégie, nous vous invitons à consulter ce dossier, issu de la revue Prostitution et Société, rédigée par le Mouvement du Nid.

Ces violences sont structurelles. Elles ne sont aussi répandues statistiquement (selon #NousToutes, 9 femmes sur 10 ont subi des pression sexuelles de la part d’un partenaire et plus de la moitié d’entre elles ont subi un viol par partenaire) que parce que nous vivons dans une culture du viol, qui banalise voire érotise les violences sexistes et sexuelles, garantit l’impunité de la quasi-totalité des agresseurs et reporte la culpabilité sur leurs victimes.

C’est pourquoi notre approche de la psychotraumatologie est sociologique et féministe : nous ne voulons pas nous contenter d’apporter des soins adéquats aux victimes, mais construire un monde où il n’y aura plus de victimes… car il n’y aura plus d’agresseurs.  

Association Mémoire Traumatique et Victimologie (nd.). Introduction aux psychotraumatismes. Page en ligne.

 Freyd, J. (1996). Betrayal Trauma: The Logic of Forgetting Childhood Abuse. Cambridge, Harvard University Press.

Hart, O. van der, Nijenhuis, E. R. S., Steele, K., Mousnier-Lompré, F., & Dellucci, H. (2017). Le soi hanté : Dissociation structurelle et traitement de la traumatisation chronique (Nouvelle éd. révisée). De Boeck supérieur.

Herman, J. (1992). Trauma and recovery: the aftermath of violence : From domestic abuse to political terror. New York : BasicBooks. 

 Salmona, M. (2018). Le livre noir des violences sexuelles. Paris : Dunod. 

Levine, P. (2014). Guérir par-delà les mots – Comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être. Malakoff : InterEditions.

Putnam F.W. (1989), Diagnosis and treatment of multiple personality disorder. Psychiatric Clinics of North America, 14, pp. 489-502.  

Schmidt, N., B., et al. (2008). Exploring human freeze responses to a threat stressor. Journal of behavior therapy and experimental psychiatry, 39(3). 

Spring, C. (nd.). Working with Dissociative Disorders in Clinical Practice Online Training. Online courses.

            Van der Kolk, B. (2005). Developmental Trauma Disorder: Toward a rational diagnosis for children with complex trauma histories. Psychiatric Annals, 35(5) :  401-408.

Walker, P. (2013). Complex PTSD : From Surviving to Thriving: A Guide and Map for Recovering from Childhood Trauma.